Nicolas Lalau

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Les parcs d’attraction décatis éveillent toujours un peu de poignante nostalgie, une mélancolie… et c’est peut-être plus vrai encore qu’auparavant, à présent que les jeux des enfants sont souvent devenus « vidéo », de poche, et surtout virtualisés et individualisés. Certes, l’ambiance de certaines foires populaires (il n’en reste presque plus que dans les grandes villes) semble traverser les décennies sans s’altérer mais les parcs d’attraction « historiques », plus que centenaires, semblent parfois relégués dans la préhistoire du divertissement, ou pire : dans notre propre enfance déjà lointaine. Miteux et mythique, Coney Island, jadis photographié par les plus grands (de Weegee à Arbus, en passant par Robert Frank), a néanmoins conservé son prestige, son lustre, une partie de son aura. En Belgique, quasi tous ces lieux, parfois magiques autrefois, sont passés ces récentes années de mains en mains, de faillite en reprise, de groupe mondial en consortium transnational. Ils se sont « modernisés » (disent prudemment les vieux adultes, en constatant qu’on a repeint et rendu plus rapides, plus bruyants, et souvent plus laids, leurs rêves de gosse).

Photographiés dans nos régions ou en Allemagne, parfois un peu plus loin, les parcs d’attraction de Nicolas Lalau sont une méditation sur le temps au même titre qu’une réélaboration des formes à travers la lumière… En témoignent ses choix justes, non spectaculaires, sans violence des effets : il ne va pas chercher les manèges les plus en ruine ni les plus impressionnants, les plus beaux ou les plus douteusement kitsch. Ceux qu’il éclaire d’un dernier feu sont à portée de main, à portée de mémoire, à la fois familiers et insolites, presque humains en somme. Réels et oniriques, ce sont des objets de rencontre. Un gros escargot bicolore prend un dernier coup de lune, tapi parmi les arbres. Un toboggan bariolé dégringole de nulle part et se perd dans des tags terre-à-terre et bleu ciel – mais le lent plafond d’étoiles, lui, n’a rien perdu de son impeccable féerie… Les pieds dans leurs souvenirs, quelques derniers transats surnagent encore un peu, à l’orée d’une voûte rosée. Et le tourniquet de béton et de métal, bouquet dégarni qui ne porte plus qu’une poignée de pétales, semble pourtant, ainsi cadré en légère contre-plongée, avoir gardé quelque chose d’élégant, de gracieux, d’aérien…

Trop jeune pour être passéiste (il est sorti récemment diplômé de Saint-Luc Liège et multiplie à présent les missions, les travaux, les expos à travers l’Europe), Nicolas Lalau a toujours manifesté dans son parcours un goût pour l’aventure, la découverte, l’expérimentation. La plus belle, la plus fascinante d’entre elles demeurant probablement l’apprivoisement de la couleur par la lumière : comme une sorte de gage photographique, sur ces lieux à présent fanés et désertés, d’une vie éternellement renaissante, d’encore un peu de joie, pour peu que le regard sache allumer les choses, saisir leur scintillance sous la patine des ans.

Emmanuel Dautreppe, éditeur, enseignant, critique, commissaire d’expositions

Nicolas Lalau est né en 1984 à Saint-Omer (France) et réside à Hazebrouck (France)