Tendance Floue
Sélection du commissaire
Dans chacun des deux cas, l’esthétique prométhéenne, « où l’expérience d’une expansion de soi a pour support des figures de fiction reconnues comme telles », s’appuie dans un rapport au moins ambigu sinon paradoxal sur un prométhéisme doctrinal « où il s’agit d’adhérer pour de bon à l’illimitation », quel que soit le prix à payer. Dans chacun des deux cas, l’homme clame haut et fort qu’il a le pouvoir de se créer, de se donner naissance lui-même en dominant les choses et les éléments. Dans chacun des deux cas, les quelques élus exemplaires de cette mythologie solaire s’appuient sur la masse méprisée des exclus dont il est attendu qu’elle sacrifie de manière inconditionnelle son existence négligeable à la réalisation du Grand Oeuvre. Le prométhéisme est totalisant autant que démonstratif à l’excès, ce qui explique à la fois la démesure et la nécessité spectaculaire d’une entreprise qui bascule continuellement dans la frénésie. Révolutionnaire par essence, le prométhéisme doctrinal a besoin du secours permanent de l’esthétique prométhéenne pour valider formellement, immédiatement et de manière exhibitionniste son efficacité radicale. Il s’agit bien d’une stratégie tant opératoire que communicationnelle dont la radicalité démesurée répond à ces deux nécessités. Avec le prométhéisme, la table rase est permise, voire convoquée, tant à travers la destruction de la société ancienne que par l’écrasement de tout ce qui fait obstacle à la construction d’un monde nouveau, ce et y compris les acquis sociaux et la sécurité d’un prolétariat endoctriné. En Chine, le gouvernement déréglemente les salaires et les prix et ouvre sans limite les marchés pour favoriser la croissance délirante de ce qui devient l’atelier de sous-traitance des multinationales du monde entier et pour assurer les profits astronomiques de la sphère proche du politburo du parti et d’une classe émergente très minoritaire. Dans le même temps, il maintient la rigueur et les méthodes totalitaires d’un régime communiste et crée ainsi une situation dont seul le prométhéisme peut assurer idéologiquement la cohérence. Le visage des villes en est radicalement métamorphosé jusqu’à la caricature fictionnelle. Les photographes du collectif Tendance Floue jettent un regard pluriel sur ce qui pourrait tenir de la schizophrénie. Ils le font à la manière d’un rébus, parfois avec humour, jamais avec la lecture préphilosophique d’une pensée unique au regard moralisateur. Leur travail tient de l’état des lieux. Pour paraphraser l’écrivain Simon Njami dans son introduction au livre « Seul l’air » sur le travail de Laurence Leblanc, on pourrait affirmer qu’en acceptant les subjectivités d’un regard pluriel, le collectif Tendance Floue échappe à la prétention prométhéenne de restituer le réel. Au spectateur de construire la narration.
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