Maxime Brygo
25 MONUMENTS
Sélection du commissaire
Les images sont de grandes dimensions, encadrées et sous verre.
L’une représente une église à trois nefs, vu de l’arrière. Elle est bordée d’un cimetière de taille modeste. Les premières stèles qu’on aperçoit sont militaires ; derrière, une croix bardée d’un glaive domine l’un des caveaux. De part et d’autre, on entrevoit quelques maisons aux toits de tuile et d’ardoise. Plus loin, un entrepôt couvert de tôle. L’espace sacré est ouvert, simplement délimité par une haie d’épineux et deux fines franges d’herbe verte. Le sol est fracturé et laisse apparaître plusieurs couches d’un goudron décrépit.
Une autre image donne à voir treize couples, américains et victoriens. A l’avant, les femmes en robes de bal à crinoline, derrière, les hommes en uniforme, la plupart couverts d’un chapeau ou d’un képi. On distingue l’étoile d’un drapeau à l’arrière-plan. Une étoile bleue sur fond blanc. Deux rideaux de velours sont entrouverts, laissant pénétrer une lumière diffuse qui éclaire la scène par l’arrière. L’espace intérieur est rigoureusement dessiné. Au plafond, une profusion de lignes convergent vers le centre de la composition. Au sol, des quadrilatères jaunes, bleus, oranges déconstruisent l’espace, qui semble se dérober sous les costumes en suspension.
Une dernière image représente une structure de métal. Machine à deux cheminées, elle orne l’entrée d’un tunnel. De part et d’autre, un gazon irrégulier. Et quelques arbres qui dessinent l’horizon. Deux chartes achromatiques marquent la transition graduelle entre le ciel et la terre. Trois aplats pourpres découpent un rectangle et deux pentagones. Dans le bas de l’image, on distingue deux croix lumineuses rouges sur la partie gauche. A droite, une flèche lumineuse verte est orientée vers le bas, ainsi qu’une seconde, éteinte. Plusieurs voies goudronnées apparaissent rapiécées, des pointillés irréguliers segmentent le sol qui s’engouffre sous l’engin.
Les trois photographies portent chacune un titre, rédigé sur un même modèle. Une date ? Un lieu ? Un code arbitraire ? Un mot-clé ? … Chaque image se voit élevée au rang de monument. Ce qui lie précisément l’ensemble est difficile à cerner. Ces monuments entretiennent un rapport avec l’Histoire, qu’elle soit ancienne ou très récente, celle du plus grand nombre ou de quelques-uns… Mais plutôt que de célébrer tel ou tel fait historique, les images semblent davantage considérer notre rapport au passé, au culte, aux moyens de faire Histoire. Des monuments sociologiques donc, plutôt que des monuments historiques ? Les images assemblées forment un corpus qui les unit dans leur parenté, leur différence, leur singularité, leur banalité…
Et finalement, le patrimoine constitué apparaît être photographique. Son enjeu est peut-être son lien à l’actualité. Là où d’autres patrimoines s’établissent dans le constat et se tournent vers le passé, celui-ci aurait plutôt une valeur prospective, contemporaine par son instabilité. N’en va-t-il pas de même du processus d’écriture de l’Histoire ? De la sélection à l’appropriation d’événements passés surgissent préoccupations et fantasmes contemporains qui conditionnent notre futur. Dans ce processus, la représentation et la célébration jouent un triple rôle. D’une part, elles attestent du potentiel monumental que peut comporter un objet, d’autre part elles le sanctifient. Enfin, elles ont la capacité de pérenniser le statut monumental. Ces images invitent le spectateur à se demander quels sont nos monuments aujourd’hui, ce qu’ils ont à nous dire, dans cette société qui valorise ou vulgarise « l’œuvre de mémoire ».
Maxime Brygo, Photographe
Maxime Brygo est né en 1984 à Dunkerke et réside entre Bruxelles et Dunkerke