Stéphanie Lacombe (Née à Figeac le 18.03.1976, réside à Romainville)
Représentée par la galerie « La Petite Poule Noire »
LA TABLE DE L’ORDINAIRE
Sélection du commissaire
Le buste (ci-dessous)
Jean-Claude vit seul dans une maison typique de pêcheur à Marseille. Il est jardinier. Il dîne devant la télévision. Avec en face de lui, le buste de son frère décédé. Jean-Claude a fait faire ce buste d’après une photo. Pendant le dîner, il a chanté avec l’accent et sans aucune gêne « Laura » de Johnny.
Jean-Claude veut raconter son histoire et cherche un écrivain public. Il s’est préparé une salade de tomates arrosée d’une demi-bouteille d’huile et l’accompagne d’un verre de rosé.
« Ainsi ce fait simple – une femme qui achète une livre de sucre – exige une analyse. La connaissance atteint ce qui se cache en lui. Pour comprendre ce simple fait, il ne suffit pas de le décrire ; la recherche découvre un enchevêtrement de raisons et de causes, d’essences et de « sphères » : le vie de cette femme, sa biographie, son métier, sa famille, sa classe, son budget, ses habitudes alimentaires, l’usage qu’elle fait de l’argent, ses opinions et ses idées, l’état du marché, etc…(…)Ce que j’atteins, qui devient de plus en plus profond, est cependant enveloppé dès le petit fait initial. L’humble événement de la vie quotidienne m’apparaît alors sous un double aspect : petit fait individuel (…) – fait social infiniment complexe, et plus riche que les « essences » multiples qu’il contient et enveloppe. Le phénomène social se définit par l’unité de ces deux aspects. »
Henri Lefebvre, Critique de la vie quotidienne, Introduction
Le moins que l’on puisse dire, c’est que Stéphanie Lacombe sait se faire oublier !
Lorsqu’elle décide de mener ce projet d’ethnographie photographique sur les Français à table et d’en faire une révélation de l’ordinaire, elle sait qu’elle devra être là sans être là, malgré son imposant dispositif photographique.
A la fois proche, dans le partage, voire l’offrande de l’intime, où l’intruse sait que la proximité physique d’avec le sujet ne facilitera pas la naturalité documentaire attendue. A la fois lointaine, si, justement, elle veut éviter le piège d’un transfert personnel ou d’une lecture biaisée, la tentation de la mise en scène pour exprimer ce qui, dès lors, ne serait plus que de la caricature ou de la grimace.
Généreuse et spontanée par nature, Stéphanie Lacombe a ,sans conteste, su gagner la confiance « des gens » jusqu’à faire partie des meubles et permettre ainsi la restitution d’un moment du quotidien qui ne se partage généralement qu’avec ceux qui sont autour de la table.
Grâce à elle et sans voyeurisme, comme happés par sa photographie, nous sommes invités à laisser aller notre regard curieux dans une analyse attentive des détails. Ceux-ci, comme le dit Henry Lefebvre, réfèrent à l’enchevêtrement des raisons et des causes, des essences et des sphères. Loin de l’anecdote, ils prennent sens et profondeur dans la révélation des phénomènes sociaux. La puissance évocatrice de son « reportage » appelle le retrait du littérateur pour laisser totalement libre l’initiative du visiteur. D’autant que les légendes, dans la fraîcheur de leur simplicité, sont des clés savoureuses qui permettent de dévorer l’image sans modération.
Une chose est sûre : nous ne pourrons manquer, à l’heure où nous nous mettrons à table, d’interroger à notre tour nos usages et ce qui constitue nos propres habitudes.
Marc Mawet, chargé de cours à l’ULB, commissaire de la biennale.