Luis Diaz Diaz
APRÈS LA FÊTE OU LE TOMBEAU DU MUSICIEN
Sélection du jury
Ce projet photographique de Luis Diaz Diaz revisite des espaces de célébration d’un genre particulier : les estrades couvertes pour orchestre dans la campagne galicienne en Espagne. Il s’agit de constructions rudimentaires, résultant le plus souvent d’une architecture vernaculaire, destinées à accueillir et à abriter de petites formations musicales animant les fêtes populaires.
Il y a d’emblée pour l’oeil une opposition intrigante entre le protocole de prise de vue très soigné, d’une part, et l’indigence du sujet, d’autre part. Cette monumentalisation décalée d’une architecture sans architecte transcende photographiquement les volumes élémentaires vers une forme inattendue de sculpture minimaliste oubliée en pleine nature, tandis que le spectateur se laisse aller à contempler la variété de ces formes en déshérence, surgissant dans un paysage tout aussi désert. Et soudain, ces boîtes vides nous apparaissent comme le miroir du boîtier de l’appareil photographique qui leur fait face : deux cyclopes figés par la vanité de toute représentation, l’œil butant contre le mur aveugle d’un caisson désespérément vide.
Le photographe a en effet choisi de montrer des « boîtes à musique » à l’abandon, en léthargie. On imagine que dans le passé, ces boîtes furent pleines de monde et de musique, quand la fête battait son plein. Mais la fête est finie : la rondeur souple de la musique a cédé la place au quadrangle rigide d’un béton sépulcral. L’écrin de la fête chaleureuse a pris la forme d’un cercueil glacial. Ces lieux privilégiés de célébration populaire nous semblent donc oubliés, en voie de disparition, et la végétation envahit parfois ces lieux confirmant leur abandon. De fait, ils sont remplacés aujourd’hui par des scènes plus modernes, mobiles et éphémères. Ne restent de ces fêtes passées que la trace, le rebut minéral : une tache grise dans le vert du jardin mais aussi, comme une pierre tombale, la borne d’une époque révolue. Prison silencieuse du temps suspendu entre vie et mort, entre tradition et modernité, quand le monde rural s’effondre face à la croissance arrogante des cités bruyantes. Ne survit ici qu’un détournement clandestin des anciennes « boîtes à musique » puisque les jeunes du quartier n’y viennent plus que pour fumer ou boire, à l’abri de l’œil réprobateur d’un aîné…
Il y a comme un hommage à un genre de divertissement démocratique, non mercantile, exempt de superflus, dont les principaux ingrédients comme les principes fondamentaux étaient simplement la musique, la danse et l’envie de se regrouper. Sublimant la dureté, la précarité des matériaux sans noblesse, la fête dépassait alors toute modestie sociale. On comprend finalement pourquoi il importait à Luis Diaz Diaz de célébrer ces espaces modestes pour acteurs sans panache comme on le ferait pour un théâtre lyrique vibrant d’un grandiose opéra. Alors, les musiciens reprennent place dans leur kiosque, et les premières mesures d’une partition ouvrent à nouveau le bal : voulez-vous danser ?
Eric Van Essche
Directeur de l’ISELP et professeur d’histoire de l’art à La Cambre
Luis Diaz Diaz est né en 1978 à Coruña et réside à Madrid en Espagne