Svetlana Khatchaturova

PLUS VRAI QUE NATURE

Sélection du jury



“L’homme contemplant la nature est l’un des thèmes caractéristiques, une des formes symboliques de la culture occidentale”, écrit Svetlana Khatchaturova sur son travail photographique. On peut même affirmer que la représentation de cette nature comme motif principal de l’oeuvre traverse l’histoire de l’art comme une question centrale depuis que la renaissance se préoccupe de faire émerger le sentiment de nature. Les papiers peints photographiques sont sans conteste l’un des avatars contemporains de cette question.

Appartement après appartement, Svetlana Khatchaturova découvre que chaque présence d’un paysage photographique collé renvoie à une histoire personnelle dans laquelle, très souvent, la contemplation de la nature est recherchée pour ses bienfaits thérapeutiques. “L’énergie bienfaisante de cet arbre m’a permis de supporter une grossesse difficile”. “Alitée suite à une longue et grave maladie, j’ai éprouvé le besoin de tapisser mes murs d’un paysage estival”. Les témoignages ne manquent pas.

Tous différents, ces paysages naturels sont moins choisis pour leur singularité que pour leur capacité à représenter la quintessence de la nature. L’arbre y est omniprésent, comme pour rappeler qu’à l’instar de l’homme, sa verticalité réalise la relation entre le ciel et la terre. De manière absolue, le mouvement est presque toujours absent de représentations qui tendent à rendre compte d’un équilibre et d’une harmonie intemporelle qui renverraient à l’ordre éternel des choses. C’est en ce sens que l’on peut parler d’une forme d’idéalisation qui procède d’une véritable célébration de cet éternité. Et Goethe aurait pu dire de ces papiers peints qu’ils “sont de la vérité la plus haute, mais sans la moindre trace de réalité. (...) Et tel est précisément le véritable idéalisme, qui sait utiliser les moyens réels de manière à ce que la vérité qui paraît donne l’illusion de la réalité”. (1)

Mais il ne sera pas dit que la raison même la plus métaphysique devrait être ingrate. Par un juste effet boumerang, ces collages d’une nature idéale renvoient à une perception sensible du spectateur en lui prodiguant ses effets apaisants. Peut-être parce que, pleins mur, ils intègrent dans leur paysage l’espace construit qui les contient et les objets du quotidien qu’ils côtoient et diffusent telles des huiles essentielles une force tranquille qui semble assurer une forme d’équilibre, comme par contagion panthéiste.

C’est sans conteste la raison pour laquelle Svetlana Khatchaturova nous parle dans cette confrontation “d’un rituel quotidien, d’une cérémonie de célébration d’un espace vaste et inconnu à l’intérieur d’une surface close et limitée”. La condition semble presque humaine.

Marc Mawet, commissaire de la Biennale

(1) ECKERMANN, J-P. Conversations avec Goethe. In Tout l’oeuvre peint de Cl. Lorrain, op cit. p.14

Svetlana Khatchaturova est née en 1969 à Tazovsky en Russie et réside à Paris en France