Kévin Laloux
Sélection du jury
Et la distinction prend encore une autre amplitude lorsqu’on l’applique à l’action « d’aller en boîte », tant ces espaces de la nuit sont caractérisés par leurs pratiques, leurs usages, leurs règles, tant leurs architectures font des lumières, des vibrations, des odeurs les matériaux essentiels d’une codification esthétique qui renvoie précisément à une expérience décalée. Car si les sociétés humaines, mais surtout modernes et plus encore urbanisées, transgressent les rythmes circadiens de la nature qui font que l’on dort la nuit et que l’on vit le jour, c’est en effet pour réserver à une autre part de nous-mêmes la possibilité de s’épanouir en marge de notre vie sociale courante. Autre en effet car il ne s’agit pas de poursuivre le jour jusque dans la nuit, de le prolonger en quelque sorte, mais bien de se transborder d’un espace à un autre, oserais-je dire d’un espace strié à un espace lisse, celui-là même où, comme le définissent Gilles Deleuze et Félix Gattari dans « L’anti-Œdipe », « la perception est faite de symptômes et d’évaluations plutôt que de mesures ou de propriétés ». Le temps s’y accélère jusque dans la frénésie ou s’y refuse dans l’épuisement de l’immédiateté. L’espace s’y densifie dans une recherche de la promiscuité où ce qui importe est l’atmosphère du vide contenu plus que la nature du volume contenant. Le regard et le corps se font complices pour évincer le verbe et explorer les scénarios d’une imagination qui se laisse aller à se faire son cinéma. Sujet et objet de son propre désir, le noctambule drague les infractuosités de ses propres limites dans des expériences qui érotisent la perception des lieux. La nuit est un autre univers où l’on navigue à vue dans des socialités éphémères, au sein de co-présences anonymes qui, par un glissement sémantique – la faune – renvoient à une forme d’animalité, à une force ténébreuse qui s’exprime par de multiples chorégraphies ritualisées. « Under » est le « ground » de Dionysos qui cultive et célèbre le territoire de cet autre nous où le gardien du temple et la vestale s’appellent « sorteur » et « barmaid ».
Nos trois protagonistes écrivent ainsi : « Il existe en effet un rapport évident entre les espaces de célébrations et les boîtes de nuits. Cette interprétation à priori littérale devient prétexte à observer le lieu de fête lorsque l’action de célébrer en est absente. Les espaces choisis sont des contenants exclusivement prévus à l’usage de la fête. Ici, le regard photographique se concentre sur le dispositif mis en place en l’isolant de son sens : la foule humaine. Présenter un lieu en dehors de sa représentation picturale traditionnelle et habituelle conduit à une compréhension particulière du sujet. Cette manière de faire permet de révéler le décor architectural uniquement dans sa réalité matérielle. Une part du superflu et du non visible dans l’intensité du moment de célébration se dévoile par la prise de vue. »
Il fait partie du collectif « 11H59 » avec les architectes Sarah Cremer et Radim Louda |
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