Gauthier Sibillat (Né à Saint Quentin le 30.50.1982, réside à Strasbourg)
INCRUSTATIONS
Sélection du jury
« Comme toute aliénation contient potentiellement son dépassement, le quotidien peut-être le lieu des tactiques de résistance, organisées ou bricolées, à petite ou grande échelle, ostentatoires ou discrètes, des petits détournements créatifs et des subversions, théorisées ou spontanées, des gestes subreptices articulés sur les « détails » du quotidien. (…) C’est que le quotidien s’apparente au familier et que le familier est indûment perçu comme ce qui est connu, voire dépourvu de sens et donc sans l’intérêt suffisant pour constituer un outil de compréhension de la réalité, voire de levier d’action sur cette même réalité. Notre rapport à cette quotidienneté se résume alors à de l’indifférence voire du mépris. (…)Lorsqu’une école d’architecture prend l’initiative d’organiser une exposition de photographies, c’est à l’exercice du regard qu’elle invite l’ensemble de sa collectivité. Lire, comprendre et interpréter c’est-à-dire « se représenter le monde ». Transformer c’est-à-dire mettre en forme des propositions où se déposeront des existences. Le célèbre architecte américain Louis Kahn parle de l’architecture comme « d’un monde dans le monde ». »
Nous revenons quelques pages en arrière et inversons le sens de la narration pour introduire le projet de Gauthier Sibillat. Le jeune photographe français nous invite au jeu de l’intrigue. Dans un premier temps, il enregistre des représentations d’espaces d’une familière banalité sur lesquels notre regard indifférent aurait glissé avec une distraction légitime. Le conditionnel est d’importance car Gauthier Sibillat extrait dans un second temps des éléments issus de cette même réalité quotidienne (en l’occurrence ici des fenêtres) qu’il insert alors avec subtilité dans les premières images.
Un monde dans le monde.
Le photomontage ne propose pas un contraste de première évidence. Mais le jeu d’interférences induit par la recomposition attire notre regard. Nous parlions de subtilité dans le rapport dialogique entretenu par les images ré-associées au cœur d’une nouvelle réalité. Nous pourrions parler de cette même subtilité pour évoquer la mise en tension issue « du contraste entre deux univers : celui de l’intime protégé par les rideaux et les reflets dans les vitres, intérieur, et celui de l’anonyme, froid et extérieur. »
Notre capacité à nous questionner sur les espaces produits par notre monde contemporain (friches industrielles, non-lieux des infrastructures routières, grands ensembles…) est ainsi mise en éveil par ce qui, petit à petit, se révèle improbable avant de devenir impossible, voire absurde.
Une fenêtre convoque la densité de la pile du viaduc et lui demande de se justifier en laissant croire qu’elle pourrait être creuse. Elle questionne le lieu (non-lieu ?) de ce dessous de pont en imaginant qu’il pourrait être habité et s’offrir en paysage à un séjour hypothétique.
Une autre fenêtre offre sa blancheur immaculée pour évoquer l’action du temps, attire le regard sur les déclinaisons et la densité chromatique d’une matière en transformation, affirme la dégradation d’un acier noble et fort qui ouvre à toutes les nuances subitement esthétiques d’une oxydation à la géométrie abstraite. Comme par enchantement, la cuve d’un chantier désaffecté devient une sculpture échappée d’un ouvrage sur « l’arte povera ».
Une autre enfin susurre qu’elle n’est pas à la hauteur pour dénoncer l’échelle d’un habitat impossible dans un espace qui restera définitivement technique et incongru au cœur d’une nature résiduelle.
Lors d’une conférence américaine, Isabelle Alliende rappelait un vieil adage juif : « Qu’est-ce qui est plus vrai que la vérité ? La réponse : une histoire ! »
L’invitation fictionnelle de Gauthier Sibillat appartient bien à la réalité, celle d’une narration qui démontre son incontestable efficacité.
Devant une façade irrémédiablement fermée et muette, il devient impossible de ne pas se poser la question de savoir si cette porte subitement singulière au cœur de cette répétitivité sérielle existe véritablement ou est une facétie de plus qui nargue notre crédulité.
Marc Mawet, chargé de cours à l’ULB, commissaire de la biennale