Catherine Lambermont (Née à Namur le 07/01/1968, réside à Huy)
POESIE DE L’INTIME
Sélection du jury
Catherine Lambermont, journaliste de formation, exerça ce métier durant plus de dix ans avant de s’orienter vers les arts plastiques, le dessin mais plus encore la photographie. Sans doute s’agissait-il dans ce changement de pratiques d’exprimer une intuition concernant le rapport à la réalité.
Passer d’une intelligence de la reproduction à une sensibilité de la transformation, d’une vérité documentaire à une vérité narrative, c’est sans doute ainsi que peuvent être interprétées ses motivations.
Par deux fois, je cite Isabel Allende dans mes textes de 2012 mais il ne fait aucun doute que cet extrait d’une conférence de l’illustre écrivaine chilienne tombe à point nommé pour synthétiser le propos de Catherine Lambermont. « Un vieux proverbe juif pose la question : « Qu’est-ce qui est plus vrai que la vérité ? La réponse : une histoire ! »
A une époque où nous sommes bombardés d’images, le risque que nous ne sachions plus extraire de cette saturation le moindre sens personnel est omniprésent et lorsqu’il se manifeste, s’avère castrateur.
En ce sens, le travail de notre photographe belge est un cadeau lorsqu’elle nous invite à « lire » de fausses fictions ou à décrypter de vraies fausses histoires. D’abord intuitive, sa recherche de transgression de la réalité part de la production d’une iconographie intérieure dont la photographie serait une sorte de révélateur. Elle s’applique ensuite dans un exercice d’association entre les images afin qu’un dialogue s’installe entre elles jusqu’à produire ce que l’on pourrait appeler un « rébus photographique ».
Certes, le travail de recomposition narratif détermine des variations d’échelles, fige très précisément l’occupation des images dans l’espace, configure la succession des « tableaux ». Il ne faut pas s’y tromper : il ne s’agit pas ici de faire de la question du sens une question fermée mais au contraire d’interpeller le visiteur, de faire appel à son investissement personnel dans ce qui est de l’ordre de l’évocation poétique.
Habitée par l’inquiétude pour l’avenir du monde (entendons par avenir du monde sa capacité à advenir et par inquiétude cette obsession exigeante de la nécessité du geste juste), Catherine Lambermont décline avec précision une narration qui se veut changeante par le fruit des multiples interférences (au sens étymologique) qu’elle initie, interférences dialogiques entre les images entre elles mais aussi et surtout entre l’œuvre et le « regardant » qui ne pourra donner sens à cette histoire qu’en se l’appropriant.
Catherine Lambermont confirme ainsi la thèse du critique d’art Michaël Fried qui parlait du travail du photographe Jeff Wall pour dire que « tout ce qui est préparé, tout ce qui est construit ou organisé, est réalisé pour permettre à la chose imprévue d’apparaître et en apparaissant, de créer la vraie beauté de la photographie, de toutes les photographies. » Ses diverses recherches artistiques lui permettent de savoir que circonscrire n’est pas rendre impossible et que la pratique itérative, artisanale et « supputative » du projet photographique ne peut en aucun cas être une excuse permettant de cautionner la moindre approximation.
Inquiète donc, Catherine Lambermont, lorsqu’elle détermine de proche en proche, de manière picturale, les relations entre les couleurs, les formes, les motifs, les échelles mais aussi les ordonnancements, les distances relatives et les positions respectives. Le corps même du visiteur sera mis à l’épreuve du va-et-vient, de l’aller-retour, d’un rapport alternatif à la proximité ou au recul par rapport à l’œuvre qui interpelle tout d’abord par son statut de « forme narrative » avant d’en appeler à la liberté d’interprétation qui se jouera notamment par cette chorégraphie concédée par le visiteur.
« Une porte s’ouvre, une autre se ferme. A l’intérieur, le lit est vide. Et le reste. Le reflet dans la vitre est voilé. Et derrière l’oreiller, il fait noir. Un noir qui absorbe, qui m’absorbe avant que ne revienne la clarté. Derrière mon rideau, déjà, le doute. La lumière ou le mur ? » (cadavre exquis d’extraits d’un texte accompagnant une série plus large d’images que celle présentée dans cette biennale)
Rébus photographique, identité mouvante de l’intime.
Catherine Lambermont est à l’image de cet enfant qui configure le monde, son monde, par l’entrelacs fragile et éphémère d’un fil de laine qui dessine entre ses doigts, de manière provisoire, les contours d’un volume capable, poreux, ouvert à tous les possibles.
Marc Mawet, chargé de cours à l’ULB, commissaire de la biennale.