Katherine Longly (Née à Messancy le 25.04.1980, réside à Bruxelles)
VERDURE, PLASTIQUE, TOLE ET TEXTILE : MASQUES ET ETENDARDS DE FORTERESSES FRAGILES
Sélection du jury
Qu’il soit pratiqué par conviction ou par contrainte, en résidence occasionnelle ou permanente, le camping constitue un mode d’appropriation de l’espace frappé d’invariants. Le travail photographique révèle des formes particulières de rapport, non pas public-privé, mais communauté-intimité, que génère au quotidien cet habitat fragile, abrité de tôle et de plexiglas, à quelques dizaines de centimètres du sol.
A l’affût, Katherine Longly transgresse le statut privé des territoires qu’elle visite. Une fois passée la barrière, elle nous emmène dans un monde parallèle : un réseau carrossable, parfois doublé d’un réseau piéton, desservant des parcelles plus ou moins génériques. Les enfants règnent en maîtres sur ce réseau macadamisé où la vitesse automobile est limitée à celle des vélos et où la présence adulte, proche, est mobilisable à tout instant tout en laissant de larges interstices pour l’exploration et l’aventure. La population est « du camping », les passants aussi. Résidents, habitués et touristes occasionnels investissent leur emplacement et se croisent dans les « communs » du lieu : sanitaires, épicerie, wasserette, plaine de jeux, espaces naturels ou seulement voie carrossable, lorsque leurs ressources propres leur évitent le partage des autres équipements.
Vis-à-vis de cet espace commun où les adultes passent occasionnellement et où les enfants passent, repassent et passent encore au long de la journée, les parcelles apparaissent comme de petites îles. Elles sont censées ménager une certaine distance entre la caravane et les passants et accueillir un petit « jardin ». Cependant, l’enclosure est souvent très relative : haies interrompues ou défaillantes, larges ouvertures pour permettre les manoeuvres, ... Les limites établies entre territoire commun et parcelles sont régulièrement floues, gérées implicitement, et fonction des mentalités et éducations de chacun, fluctuant au gré des pérégrinations touristiques. Cet état de fait met à l’épreuve l’accommodement mutuel entre les individus.
Il implique également diverses stratégies de mise à distance dont témoignent les images de Katherine Longly. Les haies, plantées en masse par le propriétaire du camping, sont régulièrement taillées de façon anarchique afin de répondre à des aspirations de contact spécifiques. Le paravent vient quant à lui doubler les clôtures ajourées.
Mais les pratiques de dissimulation, tout comme d’autres modes d’investissement de la parcelle, plus, ou moins, ou pas du tout tactiques ou pratiques, ont aussi vocation à habiter le camping en personnalisant la « propriété » par une « touche personnelle »… Une haie crénelée à la façon d’une forteresse moyenâgeuse ou taillée en une suite d’amphores, un motif de paravent assorti à celui de la caravane, des drapeaux d’appartenance, …Parfois, c’est l’intime même qui vient donner le ton sur la place « publique »… une pancarte Man zoekt Vrouw …
De temps à autre, les installations tentent de quitter le registre du fragile, comme pour tenter d’ancrer la caravane au lieu. : noms de rues et numéros de maison sur plaquettes, soubassement en briquettes, symétrie de plastique : flamants roses et poubelles autour du caniche… et l’éphémère rejoint l’éternel.
Sabine Guisse, architecte, assistante-chercheuse à l’ULB