20 ans / 10 positions

Brigitte Bauer,
Enseignante au sein de l’ARC de l’ESBEA de Nîmes, photographe indépendante

Nemausus, deux vaisseaux dans la ville. Une architecture hors normes, devenue objet d’études, de critiques, de curiosité aussi. Nemausus a vingt ans. Un chiffre rond, un anniversaire qui se fête et qui incite à poser à nouveau le regard - à poser un nouveau regard ? - sur une architecture perçue peut-être plus facilement comme objet que comme lieu de vie. A l’initiative de l’association « Les 20 Ans de Nemausus » et dans le cadre d’un ARC (atelier de recherche et de création) durant l’année 2007, dix étudiants de l’Ecole Supérieure des Beaux-Arts de Nîmes ont relevé ce défi : investir avec les moyens de la photographie un lieu déjà « archiphotographié » (pour paraphraser le titre du travail mené par Valérie Jouve en 1989 – Nemausus Archivécu). Quelle attitude adopter face à ce qui est bien plus qu’une architecture ? Nemausus est un objet familier pour qui vit à Nîmes, et ce que l’on voit tous les jours, on croit le connaître. Nemausus est déjà image : celle de sa forme, les deux vaisseaux dans la ville, celle de sa matière, industrielle avant d’être habitable.

Comment Nemausus est-il habité ? Série, ensemble, séquence, image isolée, installation, noir et blanc, couleur, argentique, numérique - les approches varient et s’ajoutent, se complètent ou se heurtent, aussi, pour finalement dessiner en creux le portrait des habitants de Nemausus, « ces personnes que je n’ai pas vues et qui signent le béton de leur quotidien » (Hélène Agniel). Dans les rares vues d’intérieur, les habitants ne sont que des éléments du décor parmi d’autres, s’effacent presque à côté du vase,des verres de vin, de la carafe... D’ailleurs, qu’est-ce que l’intérieur ? Les frontières sont fluctuantes à Nemausus, entre l’intérieur et l’extérieur, entre les espaces public, collectif et privé. Tandis que les terrasses - plus ou moins(dés)organisées - sont devenues des extensions de l’espace privé mais restent visibles depuis la rue, les coursives semblent plus investies par les nombreux visiteurs et curieux, et finalement peu par les habitants. « Sentiment d’absence, de manque. Le ciel est blanc, l’ambiance froide. Grand vide » (Vincent Brossard). Qu’il fasse jour ou qu’il fasse nuit, ce vide semble propice à l’imaginaire : jouer avec les règles de la photographie et les déjouer, se la jouer espion, voyeur. Chez qui s’apprête à sonner la fille avec son vélo ? Que s’est-il passé, ou que va-t-il se passer, sur le parking, la nuit ? Et qui est le vrai voyeur ? Celui qui a pris la photographie ou moi qui la regarde ? Rester caché, observer les habitants à leur insu, pour voir comment ils vivent le lieu, pour les voir sans pose. Le bâtiment même s’y prête, il est à la fois ouvert et fermé, et à défaut de disposer d’un vrai terrain de jeu, les enfants de Nemausus ont investi les garages, jouent à cache-cache ou à d’autres jeux, moins innocents, sans doute, le soir, entre les colonnes, sous les escaliers, derrière les barrières.

Ni reportage ni enquête sociologique et encore moins état des lieux qui se voudrait objectif, les approches des dix étudiants révèlent avant tout des prises de positions fortes et sensibles. Peut-être paraissent-elles à coté de ce que l’on aurait pu attendre ? Les regards sont en effet décalés par rapport à l’imagerie existante, assez stéréotypée. Loin d’une quelconque vénération de l’architecture devenue monument, leur regard se porte à côté, sur les traces de vie plutôt que sur l’espace de vie, sur des petits riens plutôt que sur la grande structure, et scrute les signes et mouvements du quotidien le plus ordinaire, ceux qui donnent cette autre vision de l’architecture : il y a bien de la vie sur Nemausus !