Extraits sonores :

- Marche
- Rencontre
- Météo
- Violence
- Havre
- Précarité
- Perdu
- Sans-papiers
- Contemplations
- Enfants
- Nuit
- Brusseleer
- Territoires
- Liberté {autostart=true}

En guise de grille de lecture
Marc Mawet
Commissaire de la biennale.

« Battre la Ville » de Michel Couturier et « C’est ici que je vis » de BNA-BBOT illustrent l’angle d’attaque thématique de cette édition de la biennale dans le rapport suggéré& que nous leur prêtons non sans une certaine forme d’opportunisme.

L’installation de Michel Couturier nous présente un travail de superposition narrative qui s’offre comme une énigme à notre état de veille.
Le rapport dialogique qu’il nous invite à installer entre le plan d’une métropole tiré en négatif et sur lequel le visiteur déambule, la succession d’images tournée en milieu urbain et la course effrénée des deux personnages vêtus de blanc n’est pas une question fermée, n’attend pas de conclusion définitive.
Michel Couturier joue de cette esthétique de l’interférence où le visiteur apporte « son calque » narratif au sens de l’œuvre tout autant que le débat contradictoire que l’interprétation de ce dernier peut susciter. L’énigme convoque notre disponibilité, un peu comme si elle voulait instituer l’espace public de nos compréhensions multiples et partageables pour mieux dénoncer son absence dans une réalité consumériste.

Car il y a du simulacre dans cette course effrénée. Tout d’abord parce que les deux personnages sont des danseurs professionnels choisis pour leur jeunesse et que le fait de les avoir revêtus d’une tenue blanche et asexuée les idéalise en héros platoniciens. Ensuite parce qu’aucune fatigue ne se marque sur leurs traits : les personnages semblent intemporels. Enfin parce que leur présence est incrustée dans cette déambulation urbaine, comme dans les films hollywoodiens de studio : ce couple fait du surplace, tout simplement.
Leur image est celle d’un bonheur serein, presqu’impassible, en tous les cas indifférent aux lieux qu’ils traversent sans les habiter.
Les images se succèdent, la ville est vide, ou plutôt sa représentation, filmée dans une perspective centrée, contrôlée. Les plans se suivent autant que les lieux, sans récit, sans histoire, sans hiérarchies, comme un état des lieux documentaire, un répertoire sans expression, indéterminé. Les ruptures d’échelle passent presque inaperçues.
Ces images complètent la carte. A moins que celle-ci n’assoie les images ….Le plan assure le repérage, permet la vue d’ensemble, inscrit le visible dans l’invisible, conforte l’appréhension rationnelle. Il rassure toutes les craintes de perdition. « Vous êtes ici ».
« Soyez éternellement libres et heureux dans monde neutre et pacifié », nous susurre presque à l’oreille la voix off d’une illusion libérale au décor de paradis céleste, d’une narration sans événement, sans début, sans fin, au déroulement naturel « nous nous occupons du reste ».

« Battre la ville » ne nous invite évidemment pas à la béatitude. Le travail met en avant les dérives et les pièges d’une société de toutes les dissolutions, physiques et mentales, d’une société de la fausse indétermination. Il suggère le passage des splendeurs de l’émancipation aux misères de l’aliénation.
Il se veut analogique lorsqu’il amène à passer du plan concret (la ville comme motif) au plan métaphorique (la ville comme représentation d’un principe d’organisation sociale). C’est ce qui fait sa dimension politique. Il pose la question formulée dans l’article de Béatrice Magni : « La liberté et le bonheur suffisent-ils à définir une société émancipatrice ? (…) A quelles conditions les citoyens d’une société démocratique demeurent-ils véritablement des sujets, avant de devenir des esclaves heureux, et comment éviter que la face sombre de l’individualisme moderne n’abolisse la subjectivité et, finalement, la liberté ? (1)

Devons-nous être come les deux personnages de Michel Couturier, des barbares arendtiens, hors le monde, déconnectés, désolidarisés, indifférents, ahistoriques dans une monde et des villes où de faux choix répondent efficacement aux lois du contrôle. Il y a du simulacre dans cette course effrénée. Au fort accent de parodie. Salvatrice.

Les paysages sonores de « C’est ici que je vis » recomposés par BNA-BBOT (Bruxelles nous appartient – Brussel behoort ons toe) ponctuent l’exposition comme des réponses à l’appel lancé par Michel Couturier.
Au langage savant de l’art contemporain se connectent des histoires quotidiennes d’une aventure participative.
Connexion n’est pas accord, ni harmonisation, ni conciliation ni réconciliation. Il ne s’agit pas ici d’opposer deux mondes, deux outils de connaissance mais bien de les interpréter comme deux modes, deux outils de connaissance mais bien de les interpréter comme deux modes de représentation d’une même réalité.
Imaginez un « Kurieuzeneus », celui qui prend l’initiative de l’enregistrement d’un témoignage.
« Il choisit son Babeleer » et lui propose de raconter sa vie à Bruxelles. Il a la permission de mettre son nez dans les affaires des autres, de provoques des conversations et de poser quelques questions indiscrètes. Le Krieuzeneus n’utilise pas de techniques d’interview, mais lance une conversation toute naturelle » (2)
Associez-le à son « Babbeleer » c’est-à-dire celui que raconte des épisodes de sa vie, qui « a envie de partager des histoires personnelles, et qui sait que ses histoires, avec celles des autres, formeront la biographie de Bruxelles ». (3)
Vous obtenez un fragment de ville, un morceau d’une mosaïque imprévisible et mouvante. Il ne s’agit pas ici exclusivement de constituer la mémoire. Cette initiative participative a une portée politique. Elle évoque la question de l’appropriation qui est cette liberté fondamentale, cette responsabilité qui est la nôtre d’habiter le monde. Et elle évoque aussi la dimension capacitante de la ville. Elle se positionne comme refus de l’indifférence mais aussi comme la condition sine qua non à l’exercice de cette liberté : une valeur qui n’a de sens que dans les liens qu’elle tisse. Elle est engagement. Par la prise de parole, l’individu s’oblige à se mettre en œuvre en quelque sorte. C’est un cadrage, un mode dans le monde, un refus de la pensée unique.

L’inscription de ces fragments sonores au cœur de l’exposition doit-elle être interprétée comme un pied de nez ? Oui, à la seule condition que Krieuzeneus et Babeleer soient les personnages breughéliens d’un contexte académique, occupant à saturation l’espace de la ville jusqu’é faire oublier, par la profusion fascinante du détail anecdotique, que l’espace public est aussi – et accessoirement ? – un espace construit et pensé.

(1)
Béatrice Magni, L’esclave heureux, p. 34-35 in Yves Charles Zarka et les Intempestifs, Critique des nouvelles servitudes, Paris, PUF, 2007

(2) et (3)
BNA-BBOT, Le magasin d’histoires, prospectus de l’association que nous leur prêtons non sans une certaine forme d’opportunisme.

Battre la Ville

Installation de Michel Couturier

Michel Couturier a vécu à Liège, Bruxelles et Lille, vit et travaille à Bruxelles. Il poursuit un travail, principalement au moyen de la photographie et de la vidéo qui, de diverses manières, a trait avec la sculpture, l’architecture et/ou l’espace public. Depuis 2001, il aborde la ville et ses périphéries par le biais du récit mythologique et de ses résurgences, souvent inattendues, dans notre espace contemporain.



C’est ici que je vis
Installation sonore de Paul Decleire et Quentin Jacques à partir des entretiens de BNA-BBOT Bruxelles nous appartient / Brussel behoort ons toe (BNA-BBOT) est un projet participatif bilingue qui vise à constituer une mémoire sonore de la ville en collectant des témoignages de ses habitants, à rendre cette collection accessible au public, et enfin, à mettre en valeur cette matière par le biais de créations artistiques.

L’ensemble des enregistrements forme une sorte de biographie de la ville constituée d’une mosaïque de témoignages individuels, multipliant les points de vue sur la ville. La collection est accessible et consultable dans un Magasin d’histoires ainsi que sur internet.

Paul DECLEIRE est un des deux coordinateurs de BNA-BBOT depuis 1999.

Deux temps trois mouvements est une ASBL active principalement dans le domaine de l’image et du son. Plus qu’une structure de production, deux temps trois mouvements veut être un outil de réalisation. Depuis sa création, elle est donc intervenue comme producteur (ou coproducteur) sur plusieurs projets audiovisuels et sonores.

Quentin JACQUES est preneur de son de formation (Insas). Il travaille depuis 1992, principalement dans le domaine de l’audiovisuel, comme preneur de son, monteur son, et réalisateur. Son intérêt premier va vers la forme documentaire, ou la mise en forme de "matériaux" issus d’une approche documentaire.

C’est ici que je vis est la 2ème collaboration entre Quentin Jacques (deux temps trois mouvements asbl) et Paul Decleire (BNA-BBOT)