NOS CABANES
Des démantèlements, violence d’état et fébrilité des équilibres du monde. Des architectures premières. Elles n’appartiennent pas à la catégorie des cabanes savantes qui ponctuent l’histoire de l’architecture. Ainsi, l’abbé Laugier, théoricien de l’architecture du XVIIIème siècle, voit la cabane primitive comme la forme idéale du mariage harmonieux entre la raison agissante et la nature inspirante. Il y pose les fondements de la pureté classique contre l’exubérance du Rococo. Son entreprise est morale et esthétique, la simplicité formelle dont il fait l’éloge incarnant à ses yeux la rigueur de la pensée. Deux siècles plus tard, Le Corbusier moderne se construit sur la Côte d’Azur « un château » de 3,60 mètres sur 3,60 mètres. Il y applique le rigorisme fonctionnaliste et l’obsession de l’espace minimum de la cellule habitable. Chose inattendue, il y vante les vertus d’une esthétique vernaculaire bien éloignée de ses nombreuses réalisations aux géométries abstraites. La relation fusionnelle avec la nature, l’affirmation formelle de la rusticité et l’exercice autoritaire de l’austérité font du « cabanon » un manifeste philosophique dont l’architecture se veut l’expression. Dans le même temps, son ami Jean Prouvé répond à l’appel de l’abbé Pierre pour penser et construire des logements pour sans-abris. Il construit un prototype de la « Maison des Jours Meilleurs ». Ses recherches novatrices sur la construction industrielle se mettent au service de la cause de l’urgence. Un témoignage d’engagement. Enfin, tout dernièrement, l’architecte chilien Smiljan Radic se construit une série de six « abris », pour lui-même, afin d’expérimenter des concepts qui lui tiennent à cœur comme le refuge et l’essentiel, l’auto-construction, l’effort physique et le travail de la matière, le recyclage ou l’utilisation de matériaux directement extraits sur site, dans la droite ligne de l’expérience que le philosophe de la désobéissance civile Henry David Thoreau avait vécue à Walden au milieu du XIXème siècle.
Ces cabanes nous parlent du « nous », de ce « nous » qui rassemble autant qu’il exclut, de ce nous de l’agentivité ( ? ? ?) contre celui de la consommation, de ce nous, « sujet collectif indécidé, « nous » qui n’est pas d’appartenance lorsque celle-ci est refusée mais d’espoir et d’émancipation » (2), de ce nous d’une solidarité de survie. Ces habitats nous parlent des gestes essentiels, des actes premiers, vitaux, pour se créer un séjour dans l’hospitalité d’un terroir ou l’hostilité d’un territoire. Ils rappellent que l’art d’habiter le monde est le métier de l’architecture (le métier de vivre), qu’il peut aussi s’exercer dans un milieu de rejet, de répulsion et de haine, dans ce que nous produisons de pire au nom d’une efficacité moderne et de progrès. L’abri comme échelle du corps immobile et protégé contre celle immense de l’errance et de l’exil. L’abri pour se protéger de la pluie et du soleil, du froid et des regards, l’abri aussi comme « miroir de l’âme » (3). Mais l’abri comme attention vertueuse à la topographie, aux conditions d’ensoleillement, à la présence des arbres et des sentiers qui déterminent. L’abri comme espace de négociation permanente, où le verbe « mettre en commun » devient intransitif, entre les hommes et leur environnement.
(2) MARIELLE MACE, « Nos cabanes », Editions Verdier, 2019, page 66 (3) (6) CESAR RAFAEL SOLANO FERRARI, « Refugios, Une aproximacion a la arquitectura de Smiljan Radic », Thèse au sein de la Faculté d’architecture de l’Université de la République
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