NOS JEUX

Emmanuel Tussore/Eric Van Essche

Philippe De Gobert/David Lo Buglio



Philippe De Gobert et Emmanuel Tussore sont tous deux plasticiens.

Leur travail intègre, conjointement et notamment, l’utilisation du modèle réduit et de la photographie.

En architecture, le tournant du XXIème siècle a été marqué par l’explosion des images virtuelles et les explorations 3D et 4D où hyper-réalisme et sensationnalisme rivalisent de virtuosité.

De là, dans un jeu de balancier inévitable, la jeune génération belge d’architectes revient aux techniques de la maquette photographiée et du collage. Effet de mode ? Retour aux grands fondamentaux ? Revalorisation de la "pratique" de conception ? Les arguments sont multiples et se complètent.

Il y a quelque chose du « joyeux bricolage », au sens noble du terme, dans les dessins prospectifs, les collages, les modèles réduits, qui donnent aux recherches de l’architecte une connotation ... ludique. La discipline elle-même revendique cette dimension. Boullée, par exemple, prétend que dessiner des projets permet de « délasser » l’imagination en la laissant agir sans chercher à la contraindre. Et nous avons tous en mémoire la définition que Le Corbusier donne de l’architecture, « ce jeu savant, correct et magnifique des volumes assemblés sous la lumière. »

Assumons donc que l’architecte « joue » à prospecter et à scénariser. A la réalité, il emprunte des fragments choisis qu’il recompose pour créer un récit personnel, tracer de nouvelles lignes qui ont force de proposition. Nourri de ses désirs les plus indicibles parfois, il « projette » donc des « rêves éveillés ». Dans un article intitulé « La création littéraire et le rêve éveillé » de 1908, Freud y voit comme une continuation de « l’occupation préférée et la plus intensive de l’enfant » qui « transpose les choses du monde où il vit dans un ordre nouveau tout à sa convenance ». Et de continuer : « Il serait alors injuste de dire qu’il ne prend pas ce monde au sérieux ; tout au contraire, il prend très au sérieux son jeu, il y emploie de grandes quantités d’affect. »

Ceci nous ramène ainsi à la question du dépassement des apparences ludiques du modèle réduit, de sa photographie et de leur utilisation au coeur d’un dispositif prospectif plus que sérieux.

Car si l’utilisation de la maquette et de sa représentation photographique tombe sous le sens d’une prospection de l’architecte où il s’agit de vérifier et de rendre lisible quelque chose qui n’existe pas encore, on peut se poser la question de leur sens dans le travail des deux plasticiens. Pourquoi Emmanuel Tussore estime-t-il des sculptures miniatures et leur photographie plus efficaces que des images médiatiques de destructions urbaines au coeur de la guerre civile syrienne ? Pourquoi Philippe De Gobert s’astreint-il à ce travail d’orfèvre de représentation alors qu’il pourrait se satisfaire d’une bonne photographie documentaire d’espaces bien réels et visitables (ou ayant existé) ?

Les procédés architecturaux sont ainsi à l’origine des espaces conceptuels de ces deux plasticiens. Leur permettraient-ils de questionner leur propre discipline grâce à cette capacité de sidération et cette inquiétante étrangeté du modèle réduit, rendant leurs réflexions intemporelles et universelles ? Est-ce ce que Eric Van Essche et David Lo Buglio vont tenter d’élucider ? Suite à venir ...