NOS PAYSAGES

Cyrille Weiner/Axel Fisher

Guy-Joël Olivier/ Alexandre Faure

Cyrille Weiner est photographe, Guy-Joël Olivier architecte et photographe.

Des photographes donc. Mais d’une espèce particulière : documentaires qui, pour l’occasion, prennent comme sujet de connaissance des territoires et des paysages.

Ces précisions sont importantes car Cyrille Weiner et Guy-Joël Olivier ne limitent pas la représentation à de la reproduction mais considèrent celle-ci comme un acte de prise de conscience, d’analyse, de compréhension, d’interprétation et donc d’action potentielle sur le sujet observé.

Plus que photographes, on pourrait les définir comme des chercheurs qui travaillent en trois temps.

Le premier serait l’instant résolutoire du choix de l’objet et de la circonscription de son champ d’exploration. Confrontation à un sujet, surgissement d’une intuition, émergence d’une hypothèse. Premier temps donc de la prise de contact et du saisissement.

S’en suivrait le deuxième temps, celui du photographe marcheur, celui du photographe chasseur, celui du photographe détective. La phase instrumentale où il s’agirait de relever des indices, de faire émerger des reliefs, de rendre visible et lisible à partir de l’ordinaire ou du quotidien. C’est le temps long et lent de la conjugaison de l’errance et de la mobilisation appuyée du regard. L’action patiente de l’immersion et de la relation intime entre le milieu et le chercheur, celui-là même qui sait que le mode d’emploi pour ouvrir la boîte de conserve se trouve à l’intérieur de cette dernière, pour reprendre l’expression de Sébastien Marot dans son introduction au livre d’André Corboz. A l’intérieur même d’un ensemble complexe et prétendument continu, il s’agit de sélectionner une masse significative de fragments estimés opérants dans un exercice de compréhension et d’analyse. Conjonction du choix du ou des sujets mais aussi du point de vue et du cadrage : les mobiles ne sont dès lors plus exclusivement esthétiques mais bien analytiques. Le deuxième temps serait donc celui de la « déconstruction critique » préalable à toute « reconstruction documentaire ».

Car nous en arriverions ensuite au troisième temps, celui de l’interprétation attendue, de la « (ré)appropriation » invitée ou de ce que l’on pourrait appeler la « (re)construction » du paysage à partir d’un corpus d’images, ce paysage émergeant au cours même de la méthode qui vise à le (re)connaître.

Une photographie pensante ou « une manière de penser avec les yeux ».

Dans son projet « La Fabrique du Pré », Cyrille Weiner s’intéresse à une friche résultant de l’enfouissement de l’autoroute A14 dans l’axe historique de la Défense à Paris.

Son projet photographique montre un territoire constitué de dispositifs, logiques et textes multiples, sorte de portrait chinois de « fragments topographiques téléscopés ». C’est en tous les cas ce qui apparaît dès lors que l’on va au-delà du sujet central qui est celui que Gilles Clément aurait sans conteste appelé un « délaissé » ou un « impensé ».

Guy-Joël Olivier épluche (au sens littéral du terme) un morceau de côte bretonne pour en extraire ce qui pourrait constituer son identité complexe entre monument négatif, illusion sauvage, éden balnéaire, république saisonnière, sujet paysager, espace de tous les possibles…

Qu’affirment-ils en fait par ce coup de projecteur sur un « espace contemporain envisageable comme une structure stratifiée ou hypertextuelle », bien que leur travail soit plus de l’ordre du questionnement que du verdict rédhibitoire ? C’est probablement ce que vont nous faire découvrir Axel Fisher et Alexandre Faure.

A l’instar d’Ovide, nous assistons en tous les cas à une double métamorphose : celle du sujet proprement dit et du récit qui en offre témoignage.

Ont nourri ce texte les ouvrages et articles suivants :

GIAIME MELONI, « La construction d’une vision paysagère : Etudes des usages de l’action photographique comme outil de projet du paysage »

GILLES CLEMENT et PHILIPPE RAHM, « Environ(ne)ment, manière d’agir pour demain », Skira Editore S.p.A . & Centre Canadien d’Architecture, 2006

JEAN BAPTISTE LESTRA, « Profondeur de champ(s) », in Criticat n°20

ANDRE CORBOZ, « Le territoire comme palimpseste et autres essais », Les éditions de l’imprimeur, collection tranches de villes, France, 2001

PHILIPPE BAZIN, « Pour une photographie documentaire critique »