Sammy Baloji (Congo, 1978)

Photographier le centre de la ville industrielle de Likasi a été l’aventure artistique la plus folle qui puisse être vécue en République Démocratique du Congo. Je savais qu’il était strictement interdit de photographier les bâtiments publics en R.D.C. Les raisons officielles qui expliquent cette interdiction se justifient par les multiples invasions rebelles qu’a connues mon pays, ainsi que la crainte de l’exploitation néo-coloniale des richesses naturelles du Congo par les gouvernements occidentaux, et les Etats-Unis d’Amérique.

A l’entrée de l’A.F.D.L., en 1997, le feu président Laurent Désiré Kabila lançait le mouvement « tshembe tshembe ». Ce mouvement incitait la population à la vigilance vis-à-vis de l’envahisseur. La population devait donc s’organiser et mettre sur pied une milice qui dénoncerait, auprès des services spéciaux, celui qui tenterait de vendre le pays en livrant à l’oppresseur des informations susceptibles d’atteindre la sécurité de l’Etat.

Ma province, le Katanga, pour ne parler que d’elle, sombrait alors dans une méfiance totale de l’étranger et même des siens. Dans ce contexte, on ne pouvait se permettre de photographier toute une ville pour une simple raison d’esthétique ou de connaissance scientifique, et moins encore de dévoiler aux habitants et au monde entier la richesse architecturale et le vécu quotidien du Katanga.

Une fois ce régime passé, l’arrestation des photographes, amateurs, touristes, professionnels, qui s’aventureraient à photographier les lieux publics dits « lieux stratégiques » est devenue un gagne pain des agents de services spéciaux, communément appelés « agents de l’A.N.R. ». En effet, épuisés par de longs mois impayés, les agents de l’Etat se sont résolus à profiter des affaires courantes sur la rue au lieu de laisser les autorités politiques se partager le butin à eux seuls.

Dès lors, tout le monde peut s’improviser agent de l’A.N.R. Ce qui n’est pas nouveau pour le peuple congolais ; le mobutisme nous a longtemps initié au « moto na moto abongisa » (dont la traduction littérale est : que chaque personne s’arrange) populairement interprété comme « chacun doit se prendre en charge ». Ce qui amène à une forme subtile de corruption.

Tous ces interdits et interdictions, qui peuvent amener au cachot, ne m’ont pas empêché de vouloir réaliser avec passion ce travail photographique.

En prenant la lourde responsabilité de mettre en oeuvre la fabuleuse proposition de Marie-Françoise Plissart, tout ce qui m’excitait était, et demeure jusqu’ alors, la mise en exergue de l’exploitation de l’environnement congolais par le congolais.

Ce travail se révèle être une introspection, l’interrogation d’un congolais sur ce qu’il a fait ou fait de son environnement. Partant du principe d’ une introspection dans laquelle tout est non seulement dévoilé mais aussi remis en cause, rien ne pouvait être caché, dans ce qui a été autrefois la plus belle ville du Congo. Que ce soit dans la prise de vue ou dans le montage du vécu quotidien de l’habitant de Likasi et de son environnement, je devais à tout prix passer outre les accidents et les difficultés que je rencontrais, afin d’accomplir cette mission. Tout devait être restitué, monté et montré. Hormis le recadrage de plan dû au souci de restituer au mieux la continuité des bâtiments, il n’y a pas de tromperie : tout demeure fruit du temps, de mon aventure.

Mes remerciements s’adressent :

  • à Marie Françoise qui a conçu ce projet ;
  • à Moïse Mpanga, agent de l’A.N.R. qui m’a permis, au nom de la culture, de réaliser cette prise de vue.
  • à Hubert Maheux, directeur de l’Espace Francophone ;
  • ainsi qu’à Donatien Kiboko, agent consulaire de l’Ambassade de France à Lubumbashi.