Michel Couturier (Belgique, 1957)

… Michel Couturier a choisi de placer des affiches (format abribus), conçues par lui, dans les emplacements publicitaires de plusieurs grandes villes.

Ces affiches sont tirées d’un projet de film sciemment inabouti et qui serait un remake de " De la Nuée à la Résistance ", réalisé par les cinéastes français, Jean-Marie Straub et Danielle Huillet d’après deux textes de I’écrivain italien Cesare Pavese (" Dialogues avec Leuco " et " La Lune et les Feux "). Tout est mis en œuvre pour réaliser effectivement le Film, en laissant néanmoins sa réalisation définitive en suspens permanent. Les éIéments préparatoires prennent alors forme d’œuvres : les phases de repérage, I’écriture du scénario, le casting, les photographies sont considérés comme les étapes du cheminement de I’artiste.

Le décor choisi sont les centres commerciaux qui émaillent la périphérie des villes. Ces lieux de plus en plus développés sont des simulacres de centres-villes, reproduits selon leurs formes les plus anciennes, donc les plus couramment admises. Entièrement privés, ils singent les lieux publics, mais éliminent tout ce que la notion d’espace public entend de libertés individuelles, de dialogues et de confrontations larvées ou frontales, au profit d’un modèle économique autoritaire. Les affiches sont donc tirées d’images de ce film en suspens. Vagues, imprécises, campant parfois des personnages perdus dans le décor, elles sont accompagnées de bribes de phrases, extraites du texte original qui met en scène deux personnages mythologiques : Nuée, la nymphe, et Ixion, le guerrier. Leur dialogue traite, sous la forme d’un récit mythique, des rapports que les hommes entretiennent avec le monde, en ce compris les rapports sociaux et de classes, toujours conflictuels. Renonçant ainsi au sacro-saint principe de communication qui préconise une redondance entre le texte et I’image, Michel Couturier brouille les pistes, oblige I’observateur à un effort d’interprétation, ou au contraire à laisser son imagination se perdre dans les éIéments d’un message imprécis.

Loin des slogans démagogiques, des phrases chocs apposées à des images fortes, comme on peut traditionnellement les voir sur ces espaces publicitaires, l’artiste suggère une dérive imaginative, empreinte d’une charge critique. Des possibilités de lectures et des croisements divers sont générés tandis que le décalage absolu texte/image enfante une sorte d’espace poétique libertaire…

(in « Magasin », oct, nov et déc 2002) Extrait du texte de Pierre-Olivier Rollin