Anne-Sophie Costenoble



Un récit de TOMAS BARBERA RAMALLO (E/DE) sur un sujet photographique de ANNE-SOPHIE COSTENOBLE (BE)

Harry S. Truman : Tell me, the idea for

all this, really came from a dream ?

Dale Cooper : Yes, it did(1).

ABI : RAPPORT D’ENQUETE : PHANTASMA DE THOZEE

L’intérêt de l’agence pour l’analyse non-conventionnelle et expérimentale —comme en témoignent les dernières publications— se développe à la suite d’un constat récemment prononcé par le délégué du département de recherche, D. Tonnelier : « Les enquêtes arrivent de plus en plus difficilement à aboutir ou simplement à avancer lorsqu’elles sont soumises à l’application de protocoles trop académiques, unidirectionnels rejetant tout aspect métaphysique ; entravant le développement naturel de l’enquête ; annulant tout lien subconscient entre les éléments de celle-ci ».

Dans l’effort continu de mise en valeur de ce type de travail de recherche —visant à construire une connaissance spatiale(2) du Lieu— la direction de l’agence a pris la décision d’ouvrir une série d’enquêtes. Ce rapport traite exclusivement sur celle menée au château de Thozée (Mettet, Province de Namur).

Lors des travaux d’aménagement du deuxième étage du château, un lot contenant une série de documents a été retrouvé dans l’alcôve de la chambre d’Elisabeth Rops, petite fille du célèbre illustrateur Félicien Rops. Il est important de noter que le château a appartenu à la famille Rops et servait de résidence secondaire à l’illustrateur lorsqu’il fuyait l’angoisse de la grande ville. Pendant ses courts exils, de nombreux amis et artistes ont séjourné entre les murs du château. Aujourd’hui, dans l’esprit de perpétrer cet héritage d’échanges entre créateurs, l’institution qui administre le château organise des résidences d’artistes.

D’après les premières analyses, la plupart des documents retrouvés dans le lot, sont des photographies appartenant à une série réalisée par l’artiste-photographe Anne-Sophie Costenoble, lors de son séjour au château dans le cadre des résidences d’artistes. Le reste appartient aux archives du château. La plupart des documents sont de nature intrinsèquement diverse ; il est possible d’en distinguer 9 types jusqu’à ce jour :

1. Photographies

2. Photographies de photographies

3. Scans de journaux

4. Scans de correspondances

5. Scans de cartes historiques

6. Captures d’écran

7. Dessins

8. Croquis

9. Eaux fortes

Les caractéristiques et la provenance temporelle des documents sont ‘écrasées’(3) par la méthode de restitution du lot. L’ensemble des documents sont des photocopies monochromes d’originaux. D’importantes informations ont été effacées dans ce processus de reproduction. On ne peut avoir la certitude de savoir si la nature attribuée, les lieux, l’époque, auxquels ont été rattachées ces photocopies sont correctes.

A ce jour, sans aucune certitude, les premières hypothèses ont été établies quant aux sources ‘mères’ de ces documents : Les cartes historiques proviennent de la Bibliothèque Royale de Belgique, les correspondances appartiennent à des échanges entre Félicien Rops et son ami Léon Dommartin. Les dessins, croquis et eaux fortes ont été réalisés par Félicien Rops, les articles de journaux appartiennent à des quotidiens belges tous disparus pour la plupart, le portrait est celui de Baudelaire.

L’unique certitude suite aux analyses préliminaires est que l’ensemble des documents ont un rapport proche ou lointain avec le Lieu du château. Dans les photocopies, il est possible de reconnaître le jardin à l’anglaise, le verger du paradis, l’allée arborée du XVIIIème siècle, les chapelles votives dévolues à des vierges locales anciennement déesses païennes, l’étang, les façades, les intérieurs ou les personnalités ayant séjourné dans le château.

Le lot demeure aux yeux des autorités curatoriales un labyrinthe alambiqué de dates hypothétiques, de personnalités historiques et faits particuliers qui s’entremêlent autour de ce Lieu en marge du quotidien des paysages de l’ouest de la province de Namur.

Si l’ensemble des photocopies retrouvées dans le lot ont été produites au même moment, ou si les photocopies ont été organisées par une personne essayant de transmettre un message ou une idée, une question légitime se pose : pourquoi avoir constitué ce lot de documents à propos d’un Lieu ; le château de Thozée ?


De nombreuses hypothèses ont été émises lors des commissions organisées par le département de recherche. Une enquête à propos d’un meurtre ? Un aperçu historique de l’évolution du château ? De la région ? Une enquête sur le rôle de la femme en ces lieux ? Une simple coïncidence ? Un étrange concours de circonstances ? Une introspection ? Le lien sous-jacent entre le premier propriétaire du château : la famille Faveaux, Félicien Rops et Anne-Sophie Costenoble ? La projection internationale de Thozée à Paris, Londres ou New York à travers les échanges épistolaires de Rops ? Un début de travail d’archivage ? Une œuvre d’un artiste ayant séjourné dans le château et ayant voulu enfouir son travail à tout jamais dans le château ? Une tentative d’ouvrir le champ des origines ?

«  Tout cela est possible, et simultanément » défend Tonnelier. A l’instar du cinquantième anniversaire de la mort du poète nord-américain Charles Olson, Tonnelier invite à reconsidérer une approche s’alignant avec des méthodes de lecture spatiale proches du modus-operandi de Charles Olson : la ‘saturation’(4) , l’effort « de creuser quelque chose, ou un lieu, ou un homme, jusqu’à ce que tu en saches plus à son propos que n’importe quel autre homme(5) ».

«  to dig one thing or place or man until you yourself know more abt that than is possible to any other man » (6)

Tonnelier rappelle qu’Olson dans son poème MAXIMUS FROM DOGTOWN-I « juxtapose une collection étourdissantes d’images et histoires. Entre autres, il inclut des références comme la Théogonie d’Hésiode et plusieurs cultes de déesses, l’histoire géologique et naturelle de Cape Ann, les contes du XVIIIème siècle de la maison close tenu par Molly Jacobs, et l’histoire de James Merry, un ancien marin mort en 1892 à Dogtown en train de lutter contre un jeune taureau qu’il avait élevé pour le combat. Un tel mélange hétéroclite de la mythologie globale et de l’histoire locale est typique des poésies de Dogtown qui essayent de lier Maximus (Olson) à son ‘’lieu’’ ainsi qu’à la Terre. » (7)

L’histoire d’un lieu, étudiée à travers certains prismes, peut se révéler sous une apparence cyclique. Si l’on fait abstraction de l’époque de provenance d’évènements historiques, il est possible d’arriver à un point de non-retour, où les faits d’une époque lointaine résonnent avec ceux d’une époque contemporaine. Arrivés à ce point, les évènements se fondent dans un amalgame anachronique indissociable et deviennent pour l’esprit l’essence d’un Lieu.

Selon Tonnelier, il n’y a aucun doute, le lot trouvé dans la chambre d’Elisabeth Rops pendant les travaux est clairement une annexe de documentation graphique servant à ‘saturer’ le château de Thozée afin d’en extraire l’essence du Lieu.

Tout de même, il met en garde de ne pas s’abandonner, lorsque l’on pratique la ‘saturation’, à une obsession maladive de collectionner tout type de données pouvant éventuellement avoir un intérêt pour l’enquête. Cette méthode peut facilement digresser dans une folie semblable à celle relatée par Suarez de Miranda, dans « De la Rigueur de la Science »(8).

Ce rapport est le premier rapport suivant les analyses préliminaires. D. Tonnelier, manifeste la volonté de ne pas se précipiter, de faire une approche non-linéaire afin de ne pas borner l’investigation et de ne pas risquer d’écarter des sujets. Dans un premier temps, il invite à l’association libre et à l’exploration de thèmes centraux et généraux en relation avec le Lieu.

ABI : ANNEXE 1 : SELECTION REPRESENTATIVE DES DOCUMENTS DU LOT



ANNE-SOPHIE COSTENOBLE

Anne-Sophie Costenoble est née à Courtrai (Belgique) en 1967.

Après des études de kinésithérapie et d’histoire de l’art, Anne-Sophie Costenoble découvre sur le tard la pratique photographique. La fréquentation de l’atelier Contraste à Bruxelles, de l’Académie d’été de Wallonie, l’aventure du collectif Caravane et les rencontres ont amené son travail à prendre corps.

Ses photographies ont été exposées en Belgique (Musée de la Photographie à Charleroi, Espace Contretype à Bruxelles,…) et dans divers pays d’Europe.

Elle explore actuellement la Scandinavie et a obtenu une résidence au Garage Photographie à Marseille en 2020-2021 avec le soutien de WBI.

«  Chaque image d’Anne-Sophie Costenoble est un poème, une eau tiède où se laisser glisser, sans peur ni remous pour ne pas déranger ce qui affleure à sa surface ; une photographie méditative qui a fait le pacte du silence, une photographie « primitive » - j’y mets les guillemets nécessaires -, chacune d’entre elles semblant contenir une part de l’ordre du monde puisque tous les éléments y sont contenus et les sens conviés. »

Xavier Canonne, extrait d’Un alphabet de secrets (2016).

TOMAS BARBERA RAMALLO

Tomas Barbera est né à Bruxelles (Belgique) en 1995.

Architecte diplômé de la Faculté d’Architecture - La Cambre-Horta de l’Université Libre de Bruxelles (2018), Tomas Barbera travaille au sein de l’atelier Matador et en parallèle développe une série d’activités :

* au sein du collectif PEACHLAB, collectif né de diverses expériences dans le tiers paysage bruxellois en 2016 et positionnant sa pratique entre réalité et fiction. Il participe aux interventions sur site et le travail de fiction autour de celles-ci, ainsi qu’au développement d’exercices pédagogiques tels que « Rue3030, Wow ! What !? Why ? Triptyque narratif » et /kek/ : enquête architecturale.

* avec INSERT, un exercice photographique quadrimestriel, déclenché par une revisite des photos oubliées dans les disques durs.

* à travers PAPER MENHIRS, une maison d’édition indépendante portant une série de projets comme Uithoek (Adolfo Barberá del Rosal), Delva (peachlab), Wat (st.tomás).


— 

(1) David Lynch & Marc Frost (scénaristes). David Lynch (directeur). 19 avril 1990. Zen, or the Skill to Catch a Killer. Twin Peaks. Saison 1. Episode 2. American Broadcasting Company.

(2) TdA [Détournement fait par l’auteur de l’article] ‘The actual universe as a geography’ : Charles Olson’s Exploration of Dogtown in The Maximus Poems.” The Worcester Review 27.1-2 (2007) : 103-16. Patrick Baron, University of Massachissetts Boston

(3) NdA, flatten

(4) A bibliography on America for Ed Dorn, dans Gunslinger de Edward Dorn.

(5) TdA : Ibid

(6) Ibid

(7) TdA [Détournement fait par l’auteur de l’article] ‘The actual universe as a geography’ : Charles Olson’s Exploration of Dogtown in The Maximus Poems.” The Worcester Review 27.1-2 (2007) : 103-16. Patrick Baron, University of Massachissetts Boston De la Rigueur de la Science, Jorge Luis Borges, Histoire universelle de l’infamie, 1948