ZACHARIE GAUDRILLOT-ROY - Né le 06.05.1986 à L’Arbresle

Réside et travaille à Lyon

Sélection du jury



FAÇADES

David Marlé

Des façades, des figurants. Découpées, collés, mal assemblés par un retoucheur distrait, semble-t-il – comme une publicité montrant un mannequin dont l’un des bras est coupé – une aberration, commise sous Photoshop.

Personne n’y croit, et pourtant mon regard s’y attache. Pas à rechercher ces intérieurs qui ont été gommés, ni même à essayer de les imaginer, ni curieux, ni intrigué.

Ici, l’astuce est flagrante, la ficelle est trop grosse : en un clin d’œil, je sais que ces façades ont été amputées de leurs bureaux, maisons, appartements, entrepôts ou commerces.

J’y vois deux lectures possibles, deux interprétations divergentes : David Copperfield vs Italo Calvino.

Zacharie Copperfield nous montre bien des photographies, qu’elles soient ou non numériquement manipulées : des images bi-dimensionnelles fixes, cernées par un cadre, dans lesquelles un assemblage de formes et de couleurs décrit avec précision un instant donné.

Des métaphores de la photographie aussi : cadrer, c’est forcément retrancher, soustraire un rectangle à l’infini de ma vision. Zacharie retire une couche de plus et, par là même, concentre notre regard sur ces façades. J’en scrute les détails, la fonction, cherche à en deviner le style et l’époque, en découvre toutes les incohérences, celles de lieux, de temps, de lumière aussi… des ombres dont l’orientation diffère, des plaques d’immatriculation disparues, des panneaux de signalisation de plusieurs pays qui coexistent : tout est sciemment truqué et bien organisé.

C’est d’esbroufe dont il est question, un tour de magie tape-à-l’oeil, du strass et des paillettes pour sortir notre regard de sa léthargie quotidienne, pour nous choquer : les villes que l’on nous montre n’ont pas plus de réalité que les filles des magazines, leurs façades ont depuis longtemps été déconnectées de leurs fonctions, leurs aspects de leurs réalités, leurs tracés, leurs pleins et leurs vides sans rapport avec leurs squelettes.

La magie, finalement, c’est l’art de la disparition, l’éclipse du quotidien et ce tour que l’on nous joue ici, c’est faire apparaître notre désir de dissimulation.

Zacharie nous renvoie à nos basiques : il nous faut revenir à des images en symbiose avec le réel qu’elles décrivent, à des architectures qui disent ce qu’elles sont, à des photographies documentaires, à un langage visuel compréhensible et une architecture utile au sens du Corbusier : « Une forme destinée à l’utilité, même si elle est conçue uniquement dans ce but, a toujours sa beauté ». Il faut élaguer ce monde d’ornements, non par esthétique du haïku, mais par souci d’équilibre entre l’être et le paraître.

Dans Le Città Invisibili, Italo Calvino place Marco Polo en face de Kublai Khan et lui demande de raconter chacune des cités rencontrées :

« Revenant de sa dernière mission, Marco Polo trouva le Khan qui l’attendait assis devant un échiquier. D’un geste, Kublai l’invita à s’asseoir devant lui et à lui décrire avec la seule aide des échecs les villes qu’il avait visitées. Le Vénitien ne perdit pas courage. Les échecs du Grand Khan étaient des pièces d’ivoire poli : disposant sur l’échiquier tours menaçantes et chevaux ombrageux, accumulant les bandes de pions, traçant des voies droites ou obliques selon la progression de la reine, Marco recréait les perspectives et les espaces de villes noires et blanches par les nuits de pleine lune.

Contemplant ces paysages essentiels, Kublai réfléchissait à l’ordre invisible qui régit les villes, aux règles auxquelles répondent leur surgissement, leur façon de prendre forme, de prospérer, de s’adapter aux époques, de s’étioler et de tomber en ruines.
 »

Au voyageur des villes, il a été retiré l’exotisme, l’anecdote, la précision du vocabulaire et jusqu’à la localisation pour ne se concentrer que sur l’essence de ces villes, leur pourquoi, leur principe même de création, d’existence et d’extinction. Zacharie Calvino procède de même : Aucun monument, paysage reconnaissable, aucune zébrure dans l’image qui indique à notre culture générale un point d’ancrage.

Pas non plus d’instant décisif, mais une temporalité interchangeable, picturale. Il lui reste la suggestion à grands traits, en une tentative de décrire la ville et non cette ville, un essai presque platonicien de s’approcher de l’idée de ville. Enclencher la pensée, déclencher – comme on déclenche en photographie – une réflexion sur notre urbanité, les spécificités, points de vues, et réactions associés au fait de vivre en ville. Enfin, nous laisser contempler, car ce long travail de décryptage auquel nous sommes forcés est avant tout du temps de lecture, un moment d’abîme, d’allers-retours entre ce que je vois, ce que je pense et les questions que cela soulève.

David Marlé

Photographe,

Tireur chez KZG,

Professeur à l’Ecole nationale supérieure des arts visuels de La Cambre.