CEDRIC VAN TURTELBOOM - Né le 11.04.84 à Bruxelles

Réside et travaille à Bruxelles

Série « MY WINTER HOLYDAY IN BEIJING »

Sélection du commissaire



MY WINTER HOLIDAY IN BEIJING

Marc Mawet

« La photographie sait souvent faire basculer le réel dans la fiction et c’est une des tendances fortes du moment. Que se passe-t-il lorsque le « réel » auquel s’intéresse le photographe est déjà une pure construction et que le « réalisme » inhérent à la photographie se donne pour fonction de le donner à voir, en images ? »

Ainsi commençait Christian Caujolle, commentant le travail de Cédric Van Turtelboom lorsque ce dernier fut lauréat du prix « Jeunes Talents » SFR à Paris Photo en 2012.

Cédric Van Turtelboom a en effet le culte de l’étrange, ou du singulier. Son regard attentif (attendri ?) sait construire le cadre, flasher le détail ou forcer subtilement la narration pour faire basculer l’image du statut de simple document à celui d’évocation poétique et énigmatique de l’imaginaire.

Il ne se définit pas comme un photographe engagé, ou militant.

S’intéressant à l’abîme de l’expansion économique de la Chine, et précisément pour ces deux raisons, il n’est pas étonnant dès lors qu’il se détourne de l’ivresse spatiale des ruptures d’échelles urbaines ou du vertige social du milieu carcéral des villes usines pour évoquer cette nouvelle révolution à travers un sujet plus léger : les pistes de ski artificielles de la périphérie de Pékin.

Modestie ou insouciance ? Qu’importe.

« Mes vacances d’hiver à Beijing » : le titre du projet confirme cette légèreté, convoque l’univers des souvenirs des sports d’hiver, tout naturellement.

Là réside sans doute la clé qui ouvre la porte de l’insolite.

Tout naturellement.

Près de 100 millions d’individus et peut-être cinq fois plus en 2020 : l’éclosion d’une nouvelle classe moyenne en Chine la projette dans une aisance matérielle qui nourrit des rêves allégoriques aux saveurs toute occidentales. L’accession à des moyens jusque là impensables semble bouleverser définitivement l’imaginaire d’une culture dont déjà un « Petit Livre Rouge » avait révolutionné les valeurs.

Ainsi, pour ces nouveaux Chinois, ce qui se love dans « l’interstice de leurs mots, dans l’épaisseur de leurs récits et dans le lieu sans lieu de leurs rêves » (1) s’incarne-t-il maintenant dans la métamorphose d’un mode de vie fantasmé et l’avènement de paysages artificiels.

L’utopie se met en scène concrètement, trouve ses lieux dans le monde réel, s’exprime physiquement, sans violence cette fois.

A l’heure de la globalisation, les repères, les besoins et les nécessités s’internationalisent : « bacon and eggs » au déjeuner, prénoms occidentaux pour les enfants, voitures américaines et ….les sports d’hiver à portée de main. L’accession à un nouveau niveau de vie s’accompagne tout naturellement d’une toute nouvelle identité, importée.

Importée, comme le sont les pistes de ski de la banlieue de Pékin. La magie exclusive des canons à neige les fabrique artificiellement en transformant l’eau en neige dans des steppes désertiques au climat hivernal particulièrement aride et sec. Et ce, malgré la prise de conscience du bilan catastrophique de cette croissance frénétique au niveau de l’environnement : désertification du territoire, sécheresse endémique, épuisement des nappes phréatiques, pollutions multiples altérant dangereusement la qualité de l’eau.

Rappelons-nous : Cédric Van Turtelboom n’est pas un photographe de la cause écologique.

Sa photographie ne se positionne pas comme une démonstration, encore moins comme une dénonciation.

Il nous propose un constat, poétique et allégorique, où le paysage pourrait être comparé, comme l’aurait fait Anthony Vidler (2), à deux des scènes du théâtre classique. Un paysage tantôt scène « comique » où notre regard amusé entraîne le rire devant le théâtre d’un quotidien caricaturé, tantôt scène du « mythe » où le lieu est une hésitation permanente entre la nature et l’artifice, entre le réel et l’imaginaire.

Vous l’aurez compris : la référence à Michel Foucault quelques lignes auparavant n’est pas fortuite. Un imaginaire fantasmé, idéalisé, une utopie en quelque sorte mais qui trouve son lieu et son temps dans le réel, qui se localise pour devenir une utopie « située » évoque sans fard la notion de l’hétérotopie chère à ce philosophe.

Ces pistes de ski artificielles sont en effet un lieu construit, un « lieu de tous les temps qui est lui-même hors du temps » (3), un lieu qui juxtapose des espaces improbables et qui en a le pouvoir.

Un lieu illusoire et concret, comme en témoigne cette entrée où une grotte en polyester accueille le vacancier en lui rappelant peut-être Platon, ou encore comme l’illustrent ces arbres fleuris qui illuminent la neige d’un rose plastifié et étincelant en transgressant les codes élémentaires des couleurs saisonnières. A moins que ne soient pas si incompatibles ces publicités au fort accent nord-américain dialoguant sans honte avec de fragiles lampions en papier de soie ou un « café corner » alpestre. Un jardin d’hiver, un parc de toutes les attractions où « toutes les beautés (présumées) du monde viennent se recueillir en ce miroir » de nos propres contradictions.

En arrière plan, une muraille ancestrale veille. Initialement destinée à rejeter la différence hors les murs, elle circonscrit aujourd’hui jusqu’à l’absurde le territoire poreux d’une invasion de tous les instants.

Comme le cadre d’un tableau.

Cédric van Turtelboom retravaille des captures d’écran d’images satellites (passage d’images couleur en images noir et blanc puis opération en négatif). Expressionnisme abstrait ou calligraphie chinoise ? Là encore, le photographe laisse une porte ouverte sur toutes les interprétations.

L’homme tatoue la terre pour forcer le destin et lui donner un autre corps. Il affirme cet art comme la révélation de pouvoirs secrets ou de forces invisibles. Car le réel est d’abord inconscient avant d’être fiction.

Marc Mawet,

Architecte

Professeur Ordinaire à la Faculté d’Architecture de l’Université Libre de Bruxelles

Commissaire de la triennale « photographie et architecture » de Bruxelles

(1) et (3) MICHEL FOUCAULT, 1966, Les hétérotopies, Radio France, 1966

(2) Dans BETSKY AARON, 1997, Queer space : architecture and same-sex desire, New York, William Morrow & Co , page 53